Un article demandé sur la création des patrons...

Il y a quelques semaines, j’ai posté sur Instagram une photo de mon bureau sous laquelle en légende je listais les outils que j’utilise pour travailler. Plusieurs lectrices m’ont alors demandé sur Instagram mais également en suggestion de « SOS Tricot », un article sur la création et l’élaboration de patrons. 

Je vous avoue que c’est une colle et que je ne suis d’ailleurs pas certaine de saisir le sens de la question. Porte-t-elle sur l’inspiration ? Comment trouver les idées de tricot ? La technique ? 

Les idées me viennent à partir du moment où j’ai un bout de laine entre les mains. C’est la seule chose que je peux affirmer, il me faut le fil pour avoir l’idée. La suite de ma réponse va être très décevante : je n’ai pas spécialement d’illumination créative et je crois bien que si on me donne une feuille, un stylo et une heure je peux dessiner 60 pulls à la chaîne, parce que c’est mon métier et c’est d’ailleurs ce qu’on m’a appris à faire à l’école de stylisme. Ça ne veut pas dire que je n’y mets rien, c’est une des choses que je préfère faire au monde mais les croquis sortent de ma main comme les poulets Tricatel sortent des machines dans l’Aile ou la cuisse. Après tout, ce ne sont que des vêtements, il faut rester léger et joyeux. 

Je fais donc de petits croquis (ou pas, parfois j’ai l’idée en tête et j’y vais sans dessiner) puis je me lance dans un échantillon du point adéquat. Je ne fais jamais plusieurs échantillons de différents points, en général j’ai bien en tête ce que je veux avant de commencer. Une fois l’échantillon réalisé et mesuré, je procède aux premiers calculs nécessaires au démarrage. J’en fais très peu au départ, j’y vais au culot car d’expérience je sais qu’une fois partie il risque d’y avoir du changement. Certain(e)s collègues calculent tout avant de tricoter, je crois que ce fonctionnement m’est tout à fait impossible. Je dois bidouiller pour penser et calculer.
Pendant que je tricote le prototype, je prends des notes au fur et à mesure dans un carnet. Alors ça c’est la théorie car la vérité c’est que souvent j’oublie de le faire, ou alors que je crois que je vais me souvenir de ce que je fais alors qu’immanquablement non, ou alors que j’ai la flemme d’aller chercher mon carnet et que je prends note sur tout ce qui me passe par la main (tickets de caisse, étiquettes de pelotes, sacs en papier…). S’en suit une rocambolesque pêche aux informations. Je me dis à chaque fois qu’il faut que j’arrête de faire ça, mais ça fait 11 ans que ça continue. 

Quand il est question de motifs, de jeux de points ou de jacquard c’est un peu différent. Je prends pas mal de temps pour rêvasser sur des grilles avant de tricoter grâce au logiciel Stitch Mastery et j’adore faire ça. Parfois ça ne marche pas comme je le voudrais du premier coup et j’aime encore mieux, ça permet de ne pas avoir le cerveau qui rouille à force d’être en pilote automatique. 

Si la question posée, à savoir « comment fait-on un patron de tricot ? » concerne la méthode, je peux donc vous répondre que pour le prototype il n’y a pas vraiment, je trouve, de méthode. Il faut se lancer, il y a quelques pré-requis comme avoir une vague notion des proportions du corps (on trouve des tableaux de standards de taille très facilement), savoir faire une règle de 3 qui est à la base de tous les calculs, et avoir dans sa besace un certain nombre de techniques de tricot différentes qui permettent de trouver des solutions à chaque problème. À moins de ne souhaiter créer et tricoter que des modèles très basiques (ce qui est parfaitement honorable), il faut aimer devoir chercher des solutions créatives à des problèmes plus ou moins complexes pour faire des patrons. 

Selon les constructions il y a tout de même quelques règles et je vous conseille ces 3 ouvrages qui sont pour moi des références précieuses. Je les consulte beaucoup moins qu’il y a quelques années mais ils ont été une grande source de découvertes stimulantes et de joie : « Knitting workshop » d’Elizabeth Zimmermann, « Knitting from the top » de Barbara G. Walker et « Knitting in the old way » de Priscilla A. Gibson-Roberts. Sachez toutefois que les règles sont faites pour être contournées afin d’avoir un rendu fidèle à son idée et un processus de travail qui correspondent à chacun. 

Une fois le prototype terminé, il faut calculer les différentes tailles (on dit « grader ») et rédiger le patron. C’est le moment de rassembler péniblement ses notes égarées et d’attraper crayon et calculette. 

C’est quelque chose que je fais moi-même, je sais certains designers déléguent toute la partie patronage (la gradation et la rédaction des patrons). Pour le moment ça ne me tente pas, j’aime bien calculer les patrons, je trouve cette partie aussi créative que le dessiner les modèles, et quand je rédige mes explications j’ai l’impression de créer du lien avec les gens qui me tricotent. En plus, chaque modèle que je crée est un peu comme un bébé dont j’ai envie de m’occuper de sa conception à sa prise d’indépendance dans le monde. Je ne critique en aucun cas cette façon de procéder, les designers qui travaillent ainsi peuvent alors se concentrer sur le développement de leur activité et créer encore plus de modèles, c’est loin d’être un choix idiot. 

Je commence toujours par prendre toutes les mesures de mon tricot, je détermine ainsi le « vrai » échantillon. Je réfléchis ensuite aux dimensions que je veux pour chaque taille. Là je parle pour moi, je fais ça de manière assez organique, je ne suis pas de l’école Excel et je prends le parti, selon la forme de mon pull, de ne pas appliquer la même aisance pour toutes les tailles. On ne peut pas avoir le même tombé quand on a 80 cm de poitrine ou 165 cm. Je vous écrirai une autre fois sur l’aisance, il y a tant à dire ! Je calcule donc toutes les dimensions que je souhaite obtenir pour chaque taille grâce à la fabuleuse règle de 3, puis vient le moment de se frotter aux vrais calculs, qui impliquent de coller aux points, aux augmentations et aux diminutions, ce qui remet toujours les choses en perspective. 

En effet, parfois selon mon échantillon, il faudrait que je passe de 32 à 337 mailles en 83 rangs et demi pour coller aux dimensions souhaitées, ce qui ne permet aucun calcul ni répartitions élégants. J’adapte donc légèrement mes dimensions pour tomber sur de « bons » nombres, de toute façon c’est du tricot on n’est jamais à 2 ou 3 mailles près et l’histoire nous a appris que malgré un échantillon correct, le bon fil et la même taille d’aiguilles, personne n’aura les mêmes dimensions que les autres au cm près…

Une fois tous les calculs faits, je commence la mise au propre par le schéma des dimensions avec Affinity Designer. Je l’avais écrit sur Instagram, j’ai longtemps utilisé la suite Adobe mais le coût mensuel de l’abonnement et le fait d’avoir besoin d’un ordinateur machine de guerre pour pouvoir faire les mises à jour ne sont pas viables par rapport à mes revenus. J’ai investi pour pas trop cher dans la suite Affinity et j’en suis ravie. J’avais essayé de faire les patron sur un logiciel de traitement de texte mais je n’arrive jamais à obtenir la mise en page que je veux, j’aime mieux réfléchir en terme de blocs. 

Une fois le dessin terminé je rédige et mets en page sur Affinity Publisher en évitant les abréviations que je déteste, j’ai toujours l’impression quand j’en lis d’être dans la Cité de la peur "Rech. proj. pr proj. priv. Self Dem. Brt. Poss. S’adr. à l’hô. Mart ». N’étant pas limitée en nombre de pages dans les PDF, je m’offre le luxe d’écrire les mots en entier. Remarquez, je m’offre ce luxe aussi dans mes publications papier… 

Quand le patron est terminé, je l’envoie à ma chère Charlotte, qui, depuis un peu plus d’un an, « tech édite » et traduit mes patrons. C’est à dire qu’elle me relit et recalcule derrière moi parce que quand on a le nez dans le guidon on en laisse passer de belles. Si le patron est un bébé comme écrit plus haut dont je suis le cheminement de A à Z, on peut dire que Charlotte est Super Nanny. Une fois les allers-retours avec Charlotte terminés, je lance l’appel à test et le modèle est donc testé durant quelques semaines au cours desquelles j’échange avec l’équipe (si vous ne savez pas en quoi consiste un test tricot, lisez ceci). Dans l’idéal chaque taille devrait être testée. Je ne sais pas si mes collègues y arrivent, pour ma part j’ai du mal à remplir les tests, je crois que je ne suis pas assez bonne communicante pour toucher assez de monde et certaines tailles ne trouvent pas toujours preneur. J’essaie de ne pas me miner avec ça, je me dis que Charlotte est passée par là et que je peux toujours modifier le patron si une cliente m’indique une erreur repérée pour sa taille. 

Une fois le patron testé et corrigé, vient le temps de sa mise en ligne : on fait les photos Arnaud et moi, en général près de chez nous, puis je rédige les fiches produit sur le site et sur Ravelry, je vous concocte un petit article de blog et je prépare une newsletter. Il faut ensuite partager la bonne nouvelle sur les réseaux !

Voici donc le processus de création d’un patron, de l’idée à la vente. 

Je n’ai peut-être pas répondu aux personnes qui attendaient un cours de patronage, mais je crois qu’en un article de blog ce n’est pas possible. Si vous avez des envies de créations, lancez-vous, chaque modèle et surtout chaque cerveau est différent, je ne pense pas pouvoir faire de cours magistral qui convienne à tous. Je peux vous conseiller au cas par cas, n’hésitez pas, si vous avez une idée que vous avez du mal à mettre en application à me solliciter (c’est quelque chose que je fais en cours particulier par exemple) je suis toujours ravie de trouver des solutions à des problèmes, même sur les patrons des autres. 

Bravo si vous êtes venu à bout de ce très long article, je pense que j’aurais pu en écrire encore plus, le sujet m’intéresse un peu…

Je vous donne quand même quelques nouvelles de mon pull rose qui avance tout doucement : j’ai presque fini le corps ! J’en suis aux côtes roses du bas, je suis très très lente parce que les côtes torses, que je maîtrise maintenant avec la méthode portugaise, me font super mal aux mains. Du coup c’est tricot un jour sur 2 seulement, et pas trop longtemps. Mais on va y arriver ! 

Très bonne journée et à bientôt ! 

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